Paris, le 24 mai 2022
Résumé
En collaboration avec le Centre arabe des recherches et des études politiques à Paris (CAREP), le Centre Harmoon des études contemporaines a organisé le 24 mai 2022 un atelier afin d’examiner le rôle de la France et la politique française dans le conflit en Syrie.
L’atelier a commencé par un exposé sur la situation en Syrie aujourd’hui. Les conséquences de l’échec du soulèvement de mars 2011 à réaliser le changement politique souhaité se résument comme suit : affaiblissement des parties en conflit ; la Syrie est divisée en quatre régions souffrant de mauvaises conditions économiques et sécuritaires, sous des gouvernements sans légitimité ; des milliers des jeunes émigrent en Europe ; retour de Daech au désert syrien ; transformation des régions sous l’autorité du Régime en grande fabrique de stupéfiants exportés vers les pays de la région, comme vers l’Europe. Le caractère humanitaire ayant remplacé le caractère politique du conflit, l’Europe s’est éloignée du dossier syrien, concentrant son intérêt sur le règlement de ses différends avec la Russie. En Syrie, on note la dislocation des puissances de l’opposition, des factions militaires comme la Coalition, qui perdent ainsi leur crédibilité sur le plan international, devenant ainsi à la merci de la politique turque.
Ensuite, l’exposé a porté sur la politique de la France durant les années du conflit et ses facteurs constitutifs. La France a été le premier Etat à déclarer qu’Assad a perdu sa légitimité et à soutenir les aspirations du peuple syrien politiquement, diplomatiquement et militairement. Mais l’ambigüité de la position américaine cherchant à conclure l’accord nucléaire et les pressions d’Israël pour maintenir Assad, ont affecté négativement les positions françaises et européennes, lorsque les Etats occidentaux n’ont pas profité de la déclaration de Genève en juin 2012 pour imposer une solution de transition politique.
Cette position des Etats occidentaux a eu pour conséquence la dislocation de l’opposition syrienne, la domination du caractère salafiste et jihadiste, l’absence d’institutions de l’opposition syrienne démocratique, l’entrée des factions jihadistes pro-iranienne pour soutenir le Régime. Le manque de fermeté des Européens face à l’usage du Régime de l’arme chimique a permis à Assad la liberté d’actions pour sauver son régime. C’est donc avec l’apparition de Daech comme élément destructeur sur la scène syrienne, l’occupation par la Russie de la Crimée en 2014 qui a rendu l’Ukraine une priorité européenne, puis l’entrée de la Russie militairement en Syrie en 2015, et les actes terroristes à Paris, que le conflit en Syrie a pris une autre forme dans le discours de la France et des puissances européennes : la priorité est désormais de lutter contre le terrorisme.
L’année 2016 a été celle de la grande transformation face à la tragédie syrienne qui se traite comme une tragédie humaine et non comme le problème d’un peuple qui subit depuis cinquante ans le despotisme. Sous le prétexte du réalisme politique impliquant que la chute d’Assad n’est plus à l’ordre du jour, les Etats occidentaux ont laissé à la Russie la liberté d’agir en Syrie tout en refusant la normalisation de leurs relations avec le régime d’Assad ou l’annulation de l’embargo économique, politique et diplomatique.
Cette position des Etats occidentaux, en particulier l’exclusion de l’usage de force dans son discours diplomatique, a conduit à l’arrêt total de toute action visant à imposer une solution politique qui transforme la tragédie syrienne en processus politique ouvrant aux Syriens le chemin pour réaliser leur aspiration à la liberté et la dignité.
En complément des exposées précédentes, il a été discuté des effets de l’invasion de l’Ukraine sur le conflit en Syrie. Certes, cette invasion et la réaction des pays occidentaux face à celle-ci ont conduit à des changements dans les relations internationales dont les effets s’étendent de jour en jour, mais rien n’est encore clair par rapport à la question syrienne. Il est vrai que la Russie a retiré certaines de ses troupes de la Syrie, mais son invasion d’Ukraine n’a rien changé à la position de l’Occident face au conflit syrien ou au rôle de la Russie en Syrie. Les Etats Unies ne cherchent qu’à faire changer le comportement du Régime, alors que la France et l’Europe réduisent le problème syrien à son aspect humanitaire. D’où l’interrogation sur les effets possibles de la guerre Ukraine, et si ce conflit pourrait pousser l’Occident à punir la Russie et son allié en Syrie, l’Iran, en retirant le mandat qui lui a été accordé auparavant pour gérer le dossier syrien et imposer le retour à l’application des décisions du Conseil de sécurité ? Une telle possibilité, n’est-t-elle pas de nature à encourager les Syriens pour s’activer dans un travail institutionnel pour s’adapter avec un tel changement ?
En conclusion, il a été discuté du rôle que la France et l’Europe pourraient jouer pour faire face à la complexité de la situation syrienne. Il est possible de commencer par des mesures pouvant permettre l’ouverture du chemin vers la solution attendue, comme l’insistance par l’Europe à faire passer les aides aux Syriens via les frontières ; le refus du chantage de la Russie pour faire passer les aides via les institutions du Régime ; imposer un suivi rigoureux du cheminement des aides entre les mains du Régime ; activer la poursuite des criminels de guerre en Syrie, les traduire devant les tribunaux européens et empêcher leur impunité. Cela pourrait permettre d’entamer le travail pour une solution politique basée sur une véritable transition politique en vue d’un régime civil et démocratique. Il s’agit là d’un pas essentiel que la France et l’Europe pourraient envisager et collaborer à sa réalisation dans la mesure où cette solution garantirait également les intérêts des pays européens en matière d’immigration et de sécurité nationale.
Atelier sur le conflit en Syrie et le rôle de la France
Paris, le 24 mai 2022
En collaboration avec le Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP) de Paris, le Centre Harmoon des études contemporaines a organisé le 24 mai 2022 un atelier sur « le conflit en Syrie et le rôle de la France ». Quatre sujets étaient au programme de l’atelier :
- L’état actuel du conflit en Syrie et ses dangers ;
- Analyse du rôle de la France dans ce conflit ;
- Les effets probables de la guerre en Ukraine sur le conflit syrien ;
- Le rôle de la France dans l’élaboration d’une solution politique de ce conflit.
Une vingtaine de diplomates, académiciens et chercheurs français ont participé à cet atelier avec une quinzaine d’académiciens et de chercheurs syriens résidents en France.
Les pages suivantes présentent l’essentiel des discussions durant cet atelier et les différents points de vue de l’ensemble des participants.
L’état actuel du conflit en Syrie et ses dangers
Force est aujourd’hui de constater que la révolution syrienne a manqué son objectif premier : le changement politique. Sur plusieurs plans, le printemps arabe syrien s’est transformé progressivement en crise conduisant à la catastrophe. Les différentes parties, le Régime et l’Opposition, sont affaiblies et épuisées, et cherchent des appuis extérieurs (régionaux et internationaux). La Syrie d’aujourd’hui est divisée en quatre régions[1] dominées par quatre gouvernements dépourvus de légitimité et marqués par l’absence de sécurité et de stabilité. Les conditions de vie quotidienne, particulièrement dans les zones sous le contrôle du Régime, sont si mauvaises qu’un nombre incalculable de jeunes syriens immigrent vers l’Europe et ce, malgré l’arrêt des opérations militaires. D’autre part, Daech est de retour dans le désert syrien. Les zones dominées par le régime sont devenues des lieux de contrebande de drogues venant du monde entier qui s’exportent vers les pays de la région et vers l’Europe. Cette contrebande est dirigée par un certain nombre d’institutions du Régime ainsi que par le Hezbollah.
Aujourd’hui, le paradoxe le plus visible sur la scène du conflit en Syrie, est l’absence de caractère politique qui qualifiait au début la crise syrienne. L’intérêt des gouvernements occidentaux s’est, en effet, déplacé de l’aspect politique vers l’aspect humain. Au début, la discussion sur le conflit et les modalités d’une solution basée sur la transition politique se déroulait entre les ministres des Affaires étrangères des grands pays (Russie et USA). Aujourd’hui, ce sont les fonctionnaires de ces ministères qui en discutent. Ce sont également les parties présentes militairement sur le terrain qui assument et orientent le rôle politique. La France et l’Union européenne, en revanche, se sont éloignées du dossier syrien et de ce qui se déroule à Genève. Leurs intérêts sont centrés sur la réduction de leur conflit avec la Russie plus que sur la recherche d’une solution de la question syrienne.
Du côté de l’opposition syrienne, l’absence d’une institution politique capable de représenter le peuple syrien, est l’élément le plus important à souligner dans ce conflit, et ce depuis le déclenchement du soulèvement en mars 2011 jusqu’à ce jour. Les forces de l’opposition restent encore divisées, les factions militaires tout comme la Coalition syrienne sont à la merci de la politique turque, sans parler de l’absence de leur crédibilité aux yeux des acteurs internationaux.
La politique de la France durant les années du conflit et ses facteurs
Avec le soulèvement populaire syrien en mars 2011, la France, comme les autres États occidentaux, soutenait les aspirations du peuple syrien au changement. Aussi bien dans les conférences des amis du peuple syrien, qui réunissaient 120 États, que par l’efficacité de ses positions respectives, la France déclarait qu’« Assad [avait] perdu sa légitimité », soutenait politiquement l’opposition syrienne à la fois sur le plan militaire et diplomatique, essayant, suite au refus de la Ligue arabe de lui octroyer un siège, de lui permettre d’obtenir une place aux Nations Unies, tout en l’invitant à ouvrir son bureau à New York.
Or, la position américaine, floue et ambiguë, sur la réalisation d’une transition politique en Syrie, fut le facteur déterminant dans la définition de celle de la France et des États européens. Les États-Unis cherchaient à attirer l’attention de l’Iran sur les négociations sur le nucléaire à cette époque, à donner suite à l’opposition d’Israël au départ d’Assad et à la prise en compte de l’absence d’alternatives capables de tenir la Syrie en cas de transition politique.
La position des États occidentaux concernant la transition politique fut, en 2012, une occasion manquée suite à la déclaration de Genève sur laquelle se sont accordés la Russie, l’Europe et les États-Unis. Celle-ci a mis une formule adéquate d’une transition politique à laquelle participent les trois parties : l’Opposition, le Régime et d’autres parties de la société syrienne. Mais les États occidentaux, en raison de l’opposition de Moscou concernant la déclaration de Genève, durent faire face au véto russe. L’occasion étant perdue, le conflit syrien devient plus complexe avec l’entrée en jeu de nouveaux acteurs, ce qui conduit aux changements des positions de la France et les État de l’Occident face au conflit en Syrie.
La fragmentation de l’opposition, sur le plan militaire et politique, puis la domination du caractère jihadiste sur la plupart de ses factions, en notamment depuis 2013, a complexifié la situation syrienne. En effet, au début, la volonté internationale de réaliser une transition politique en Syrie s’est heurtée à l’absence d’une alternative pour assure la relève. On s’est tant demandé : mais où est l’opposition ? Celle qui se manifeste serait-elle capable de tenir la Syrie ou est-ce le désordre qui allait dominer comme en Libye ? Il n’y avait pas un Zelensky syrien qui aurait pu assumer cette responsabilité, mais les États démocratiques occidentaux n’étaient pas intéressés d’aider à la formation d’institutions puissantes d’une opposition démocratique, laissant ainsi le terrain libre aux États arabes et régionaux dont cet objectif est le dernier de leurs soucis. La question est toujours d’actualité.
À partir de la seconde moitié de 2012, la nature du conflit s’est donc fondamentalement transformée. Du côté syrien, l’entrée de Hezbollah pour défendre le régime, puis celle des groupes armés extrémistes comme Al-Nusra, et le début de la formation des factions jihadistes dont les objectifs sont très loin de ceux du soulèvement populaire. La position américaine de ne pas punir le régime suite à son usage de l’arme chimique en 2013, alors que la France soutenait fermement cette punition, d’une part, et la déclaration du président américain (Barack Obama) de ne pas intervenir sans l’aval des Nations Unies qui ne pouvait jamais donner leur accord avec les vétos russe et chinois, d’autre part, furent comme un message des Occidentaux adressé à Assad : pas d’intervention comme en Libye, pas de missiles à l’opposition permettant la neutralisation des avions du régime. C’est ce qui a permis aux forces du régime et ses alliés de détruire les villes, de faire émigrer ses habitants et d’en chasser les factions de l’armé libre puis les factions islamiques.
Durant les années 2013 et 2014, Daech est devenu le principal souci de l’Occident. Ainsi, à la place du régime d’Assad, c’est la lutte contre le terrorisme qui devient sa priorité. Mais depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, l’Ukraine est devenue la priorité pour l’Europe. L’intervention militaire de la Russie en Syrie à la fin de septembre 2015 lui a permis d’éloigner progressivement le camp occidental et d’affaiblir le rôle du Conseil de sécurité, adoptant une vision d’une solution politique dans laquelle aucun rôle n’est réservé au peuple syrien.
Les attentats de Paris en novembre 2015 ont conduit la France à concentrer ses efforts sur la lutte contre le terrorisme, devenue la priorité de l’opinion public et un enjeu électoral.
Depuis 2016, les changements du rôle turc avaient conduit au changement des positions occidentales et rendu le rapport entre la France et la Turquie encore plus difficile. Car, après la domination par les forces de PYD de la région de l’est de l’Euphrate sous la protection des forces américaines, la priorité de la Turquie est devenue celle de faire face aux menaces des forces kurdes contre la sécurité nationale turque. Les ententes russo-turques, après les tensions causées par l’abattement par la Turquie de l’avion russe, ont amené la Turquie vers la coordination avec la Russie[2] (céder Alep, région de désescalade, Processus d’Astana et de Sotchi, la commission constitutionnelle), puis, à ce que la Turquie coordonne ses positions sur la question syrienne avec la Russie et non avec les États occidentaux membres du l’OTAN. Cela eut pour résultat la marginalisation du processus de Genève et le rôle des Nations Unies d’une part, et la réduction du rôle de la France, de l’Europe, des États Unis et de la société internationale, d’autre part.
Depuis 2016, l’intérêt de la France et celui de l’Occident en général sont, à l’évidence, réduits : l’Occident se comporte selon la logique des réactions de ce qui advient et non selon une vision d’anticipation, de planification et de suivi. Il observe le comportement de la Russie en Syrie : allait-elle renforcer sa présence ou bien envisager le retrait ? Les Européens et les Américains ont laissé le conflit syrien à la Russie, sans s’occuper de trouver une solution, réduisant leur rôle à l’administration du conflit. Ainsi, la place est devenue libre pour être occupée par le processus du trio Russo-irano-turc. Ce dernier a fini par marginaliser la cause syrienne et arrêter la recherche d’une véritable solution politique et a, en conséquence, rendu la scène syrienne plus complexe.
La cristallisation du peu d’intérêt accordé par la France au conflit syrien s’est concrétisée sous la présidence d’Emmanuel Macron. Ses positions sont d’ores et déjà dictées, non pas par les valeurs historiques et contemporaines de la République française, mais par un calcul de profits et pertes. Actuellement, il est évident qu’aucun intérêt n’est envisagé pour un rapprochement avec le Régime syrien.
Les médias français reflètent aujourd’hui à quel point la froideur de l’intérêt par rapport au dossier syrien a gagné le gouvernement français. Jusqu’à l’année 2014, la couverture médiatique française et internationale de l’événement syrien était remarquable, mais elle s’est orientée entièrement vers Daech dès son apparition et, notamment après les attentats de Paris. Le slogan est devenu « Daech d’abord » au lieu de « Le départ d’Al-Assad d’abord ». L’intervention russe, à la fin de septembre 2015, avait intéressé les médias français, mais depuis, et progressivement, l’absence du conflit en Syrie des médias français devient presque totale. La présence de la Syrie aujourd’hui revient médiatiquement via la comparaison des actions de la Russie en Syrie avec celles en Ukraine[3].
Certes, le régime d’Assad ne peut qu’être l’ennemi de la France et de ses valeurs démocratiques et humaines. S’il était naturel que la France soit intéressée, dans la mesure du possible, de trouver une solution politique en Syrie, et de soutenir politiquement la décision des Nations Unies 2254, la politique au contraire, devrait être réaliste. Ainsi, avec les autres pays de l’Europe et les États-Unis, la France considère que la chute d’Assad n’est plus à l’ordre du jour, que le régime resterait pour le moment et qu’elle n’adopte plus l’idée de le faire chuter. Tous refusent pourtant la normalisation des relations avec le régime d’Assad, mais ils continuent d’appliquer les décisions d’embargo et de pressions économiques, politiques et diplomatiques, tout en empêchant toute tentative de briser ce siège, et de refuser toute participation à la reconstruction ou à son financement, tant que la solution politique et la mise en œuvre des décisions de Nations Unies 2118 et 2254 ne sont pas réalisées. Tous, continuent également de réclamer la libération des prisonniers politiques et de soutenir les Syriens qui se trouvent dans le besoin quelle que soit la position de la Russie en la matière, et enfin, renforcer le dialogue qui réunit toutes les parties : Opposition, Kurde et le HTC.
D’autre part, la politique dite « réaliste » ne résout pas le problème. Le plus important c’est de concentrer les efforts sur la production de la légitimité politique en Syrie et non pas la confirmation des puissances sur le terrain, car cette confirmation n’aboutit qu’à la division de la Syrie.
En suivant l’itinéraire du conflit, il est à observer que l’exclusion de l’usage de la force dans le discours occidental est interprétée comme un message d’assurance à Assad. Il aurait suffi de quelques missiles lancés contre le palais d’Assad pour produire un résultat autrement plus efficace, ou, si l’opposition avait pu obtenir des missiles anti aériens, on aurait pu avoir pour résultat moins de destructions durant des années et voir le régime contraint de composer et de cesser ses crimes. Si la France et les États occidentaux ont soutenu la Turquie dans son projet de zones sécurisées, la situation en Syrie aurait pu être différente. Des experts considèrent que l’hésitation des États occidentaux à prendre des mesures significatives pour imposer une solution politique valable (faire pression sur Moscou pour la mise en œuvre de la déclaration de Genève 1) a conduit à plus de détérioration de la situation en Syrie, au point de la transformer en tragédie humaine et un dilemme politique pour le peuple syrien ainsi que pour les peuples de la région et de l’Europe et du monde ensemble.
Les effets de l’invasion russe de l’Ukraine sur le conflit en Syrie
L’invasion russe de l’Ukraine a produit des changements dans les relations internationales ; l’affrontement des États occidentaux face aux Russes montre, à l’évidence, que les relations entre la Russie et l’Occident sont entrées dans une phase difficile, que le dialogue bilatéral s’est transformé en affrontement indirect et que la normalisation des relations de n’importe quel pays avec le régime syrien dominé par la Russie est devenue plus difficile à réaliser. La Russie a dû retirer une partie importante de ses forces de Syrie vers l’Ukraine, mais elle y est toujours présente et elle n’est pas prête à l’abandonner. Seulement, dans la réalité, le retrait de la Russie était en faveur de l’Iran qui s’est précipitée pour occuper les positions abandonnées par la Russie, renforçant ainsi sa présence dans de nombreuses régions.
Par ailleurs, la Turquie tente d’exploiter les climats de la guerre en Ukraine en annonçant son intention de commencer une opération dans les régions dominées par les forces démocratiques « Qassad » pour élargir l’espace de sa domination au nord-est de la Syrie.
La guerre en Ukraine engendrait également un désaccord entre la Russie et Israël car elle met l’État hébreu dans une position délicate, n’ayant pas la volonté d’arrêter ses frappes contre les milices iraniennes en Syrie.
Si les médias occidentaux rappellent ce que la Russie a fait en Syrie et en particulier à Alep, ce n’est pas pour raviver un regain d’intérêt pour la question syrienne, mais pour porter atteinte à la réputation de la Russie. Il s’agit d’une partie de la stratégie occidentale dans l’affrontement de l’invasion russe en Ukraine. Alors qu’on trouve aujourd’hui des milliers de journalistes occidentaux en Ukraine pour couvrir ces événements, la Syrie n’a pas suscité, même avant 2015, d’intérêt semblable. Si, aujourd’hui, certains journalistes se rendent en Syrie, ce n’est que pour parler des jihadistes ou des Kurdes et leurs causes.
À vrai dire, si la Syrie avait obtenu une partie du soutien remporté par l’Ukraine, la situation en Syrie aurait pu être différente. Si les États occidentaux permettaient à l’opposition syrienne de bénéficier de réelles possibilités afin de réaliser le changement en Syrie, ils auraient pu la sauver de cette destruction massive, matérielle et sociale, sans que la question syrienne ne puisse se trouver aujourd’hui dans cette situation de complexité extrême.
En fait, l’invasion russe de l’Ukraine n’a rien changé de la position de l’Occident face au conflit en Syrie ni face au rôle russe en Syrie ; les États-Unis continuent de déclarer vouloir « changer le comportement du Régime », tout en sachant que ce Régime ne changera jamais de comportement. L’administration actuelle des États-Unis continue à geler l’application de la loi César. La France et l’Europe ne s’occupent que du côté humanitaire du conflit, alors que Daech réapparaît dans le désert syrien avec le terrorisme. Les conférences d’Astana et de Sotchi continuent d’être organisées et dont le but est de contourner le processus de Genève. La commission constitutionnelle continue ses réunions répétitives sans le moindre résultat, et l’envoyé spécial Pederson poursuit ses efforts en vain pour réaliser un progrès alors qu’il est plus sage de le remplacer et abandonner la totalité de ce processus en retournant à la table de négociation globale selon Genève 1 et la décision 2254.
D’autre part, comme il est difficile de prévoir les développements de l’invasion russe en Ukraine sur la politique internationale et sur la question syrienne, et en dépit de la volonté de tous de les contenir dans les limites de l’événement ukrainien, ils ne manqueront pas de laisser des traces évidentes sur les relations de l’Occident avec la Russie. Ceci amène à se demander : les développements de la guerre ukrainienne seraient-ils en mesure de pousser l’Occident à punir la Russie et l’Iran, son allié en Syrie, et à pousser les États occidentaux à retirer le mandat donné à la Russie de gérer le dossier syrien, avec tout ce que cela implique de changements des politiques occidentales face à la Syrie ? Cette probabilité semble possible sous réserve d’accomplir un travail institutionnel organisé par des élites de l’opposition divisées avec le soutien des amis du peuple syrien.
Un regard vers l’avenir et le rôle que la France et l’Europe puissent jouer
En raison de la complexité de la situation en Syrie et l’absence de travail sérieux pour une solution politique basée sur les décisions de la légitimité internationale, en raison également du fait de n’avoir pu réaliser aucun progrès en la matière, toute affirmation concernant l’avenir de la Syrie serait un risque sans fin. Peut-être faudrait-il encore des années pour qu’une initiative soit lancée, puisque la France, l’Europe et les États-Unis considèrent que le contexte actuel ne permettrait pas de grandes initiatives, dans la mesure où tous ces États sont occupés par d’autres contextes comme l’affrontement de la Russie en Ukraine et assurer la continuité de la lutte contre le terrorisme (Daech) qui réapparaît de nouveau en Syrie et en Iraq.
D’autre part, il est pourtant possible de réaliser quelques initiatives qui ouvrent le chemin vers le changement : si l’Europe insiste pour que l’acheminement des aides aux Syriens passe via les frontières ; qu’elle refuse de se soumettre au chantage russe qui voulait que les aides au Nord passent via les institutions du Régime ; qu’elle impose un suivi plus ferme de ce que le régime opère avec les aides humanitaires qui passent par lui avant d’arriver aux véritables destinataires ; qu’elle fasse pression pour réformer le travail des organismes régionaux des Nations Unies, car ils gèrent des crédits très importants et ce afin de garantir son engagement de neutralité et de son non-alignement en faveur du régime ; qu’elle active les tribunaux européens afin de poursuivre les criminels de guerre syriens en garantissant leur impunité et de les présenter devant les tribunaux. En effet, il y a tant d’affaires qui ne manqueraient pas de témoins et de documents, mais qui ont besoin, pour l’activation du dossier juridique, d’une volonté politique qui œuvre pour interdire la violation de l’embargo imposé au Régime et interdire également la normalisation des relations étatiques avec lui, et d’isoler la Syrie du conseil des droits de l’homme comme l’a été la Russie.
Certes, la pratique politique implique de s’abstenir de prendre une initiative condamnée déjà à l’échec. Mais accepter le fait accompli revient à s’opposer à la volonté du changement dont de nombreux facteurs pourraient assurer le succès. Le plus important aujourd’hui est de parvenir à mettre fin à la tragédie syrienne par une solution politique du conflit. Celle-ci permettrait de lever les dangers d’une éventuelle prolongation de la situation actuelle, en particulier la reproduction de Daech dans le désert syrien. Le terrorisme ne sera pas vaincu tant que ses sources seront toujours actives en Syrie, car seule la transition politique serait en mesure d’y mettre fin, sans oublier la nécessité absolue de mettre fin également aux fabriques de drogues qu’exploitent le Régime d’Assad et le Hezbollah pour s’assurer des ressources financières et de faire du chantage auprès de la France, de l’Europe et des États-Unis. Le plus important dans ce domaine, c’est que la France et l’Union européenne suivent une politique indépendante face à la question syrienne, sans laisser les États-Unis seuls décideur en la matière.
[1] Quatre régions : 1) régions sous la domination du régime ; 2) L’Est de l’Euphrate sous la domination des Forces de la Syrie démocratique QASAD, soit PYD kurde ; 3) Les trois régions de la domination turque au nord-ouest de la Syrie ; 4) Région sous la domination de l’Organisme de libération de Cham, (ancien Al Nussra) dans le gouvernorat d’Idleb.
[2] Selon les Nouvelles ententes russo-turques, les forces de l’opposition se sont retirées de l’Ouest d’Alep, en cédant la région au Régime au mois de décembre 2016. En janvier 2017, le processus d’Astana est lancé en association tripartite : russe, turque et iranienne. En mai 2017, fut lancé le processus de « désescalade » dans les quatre régions qui ont été dominées par les forces opposées au régime d’Assad, ces régions ont été mises sous la domination du régime avec le soutien russe, puis ce processus fut complété par la commission constitutionnelle qui a été accompagnée par l’entrée des forces turques dans les territoires syriens suite à l’opération « Dir’ l’Euphrate en 2017, puis l’opération « Ghousn al-Zeitoun » en 2018, puis l’opération « Nab’ al Salam » en 2019.
[3] Les médias occidentaux se concentrent aujourd’hui sur les succès individuels artistiques, scientifiques et culturels des Syriens ainsi que sur leurs diverses activités comme les restaurants et l’excellence académique des étudiants syriens ; les poursuites judiciaires des criminels du régime syrien reçoivent également une attention médiatique évidente.